Comment passerait-on sous silence une "invention" qui depuis dix ans révolutionne la cité du cheval par excellence : Chantilly ? Le grand public ignorant les chevaux mais jouant aux courses ou aimant simplement le spectacle qu'elles offrent connaît Chantilly. Mais cette petite cité enfouie dans sa verdure à 40 kilomètres au Nord de Paris, un peu à l'écart des grands axes auto-routiers, sommeillait le reste de l'année dans ses vieilles pierres bâties par les cousins de nos rois. Les touristes visitant le château, au demeurant beaucoup moins nombreux qu'à Versailles, savaient bien que parfois Le Nôtre en avait dessiné le parc et que La Fontaine, voire la Bruyère, ces grands hommes protégés eux-mêmes par les grands y avaient vécu, et que cette nature fastueuse remplie de gibier et fécondée d'eaux vives avait inspiré leur oeuvre. Mais jusqu'à la création du Musée Vivant du Cheval dans les Grandes Ecuries du château en 1982, le commun des mortels, en France et ailleurs, en cette fin du XXè siècle profane en tout ce qui s'éloigne un peu du consommable et du jetable, ignorait le trésor de Chantilly.

 

I- Un lieu

II- Un homme

III- Un musée vivant

IV- Un musée vétérinaire hors du commun

V- Les présentations

VI- La visite continue

 

I- Un lieu

Le lieu est unique au monde : à l'aube du XVIIIè siècle, dans les premières années de la Régence, Louis-Henri de Bourbon, 7è prince de Condé s'ennuie. Il passe sa vie en chasses à courre, adore bien sûr les chevaux, et, comme il croit à la métempsycose, il se prépare une seconde vie, réincarné en cheval... L'architecte Jean Aubert est chargé en 1719 de lui élever des écuries dignes de son rang. Deux nefs disposées de part et d'autre d'une rotonde centrale, sur près de deux cents mètres de long, derrière lesquelles se répartissent cours et chenils, forge, remises et manège vont bientôt constituer un temple aux dimensions de cathédrale pour le seigneur Cheval, prince du sang.

Au XVIIIè siècle, les Grandes Ecuries abritent 240 chevaux et plusieurs meutes allant jusqu'à 500 chiens. Elles deviennent le cadre de fêtes, et les Condé reçoivent Louis XV, l'empereur d'Autriche Joseph II, le tsar Paul Ier. Ces écuries sont déjà doublement vivantes puisque, le château lui-même n'offrant pas de salles assez grandes, on va souper et danser dans la rotonde. Les princes y passent le plus clair de leur temps et toute leur perspective permet même à Louis-Henri de Bourbon de les prendre en enfilade d'un seul coup d'oeil à partir d'une fenêtre de son cabinet.

La Révolution songe bien sûr à les démolir. On canonne les toitures, prenant pour cible la Renommée à cheval, statue d'Antoine Coysevox, qui couronne le dôme, et la jetant bas.

Le dernier Condé lègue le domaine en 1830 à son neveu le duc d'Aumale, lequel, mort à son tour sans descendance, constitue en 1886 l'Institut de France légataire universel de ses biens, sous la condition expresse de conserver le domaine en l'état, c'est à dire le château, l'hippodrome et 10 000 hectares de forêts autour des grandes Ecuries.

II- Un homme

Vers la fin des années 50, Yves Bienaimé, qui fut l'élève du Colonel Jousseaume, est à 25 ans le plus jeune écuyer-professeur de France et rêve de rendre vie à ces bâtiments prestigieux en leur redonnant leur destination première mais adapté au monde d'aujourd'hui.

25 ans plus tard ce rêve devient réalité après de longues négociations avec l'Institut de France pour obtenir une concession acceptable. Dans le cadre des autres musées de l'Institut le Musée Vivant est alors entièrement conçu par Yves Bienaimé et sa famille et aménagé à leur frais.

III- Un musée vivant

Sans avoir jamais reçu aucune subvention ni pour sa création ni pour son fonctionnement le Musée offre aujourd'hui un ensemble étonnant : il est l'encyclopédie vivante, où le visiteur stupéfié, même s'il ne connaît rien aux chevaux, de salle en salle et de stalles en boxes et en manèges ou en carrière voit surgir la vie équestre des siècles passés, depuis la plus ancienne mythologie. Il comprend avec stupéfaction combien le cheval fut mêlé à la vie des hommes sous toutes ses formes et sous tous les climats, jusqu'à nos jours.

Tout en passant d'une salle d'exposition à une autre, sur les milliers de mètres carrés du Musée où alternent collections, tableaux didactiques, salles audio-visuelles, etc., le visiteur, passant d'une cour à l'autre, entend vivre et travailler quelques 50 chevaux de toutes races que le personnel du Musée entretient et présente trois fois par jour au public. S'agissant de rendre la vie à un ensemble architectural unique, il importe aussi de faire partager à tous l'amour du cheval. Cette passion passe par la connaissance au sens le plus encyclopédique du noble animal. tout dans le Musée est conçu dans l'esprit pédagogique et l'organisation générale fuit le système, essayant de faire apparaître constamment les liens qui depuis toujours unissent toutes les formes d'activités humaines à l'existence du cheval. Ici des présentations anatomiques et didactiques, là toutes les espèces et toutes les races, là encore l'utilisation à des fins artistiques : chevaux de procession de manège, jouets, gravures anciennes ou oeuvres récentes, participation aux loisirs de l'homme, au cirque, aux courses.

IV- Un Musée vétérinaire hors du commun

Il manquait au Musée une salle qui traite d'une façon professionnelle des maladies les plus fréquentes du cheval. aujourd'hui, grâce à la collection du Docteur Ende, le grand public découvre comme jamais l'anatomie et la physiologie. A partir d'un procédé de congélation des membres et de certains organes le médecin vétérinaire allemand Ende a obtenu des coupes de ces membres et organes présentant d'une façon parfaitement réelle la physiologie. Ce principe permet de visualiser par exemple l'emplacement des tendons du cheval, ses irrégularités et ses maladies. Jamais un tel atelier n'avait été exposé en France et il est d'un intérêt capital pour les cavaliers et les amateurs d'observer de façon parfaitement exacte l'anatomie complexe des chevaux. Une salle entière est consacrée au seul sujet que l'homme de cheval connaît bien : les coliques, cause première de la mortalité subite chez le cheval et véritable angoisse permanente du cavalier.

V- Les présentations

Aimer les chevaux, c'est d'abord aimer la beauté en mouvement.

Si beau fût-il, un tableau ne peut restituer pleinement cette grâce. C'est pourquoi, plusieurs fois le jour, les visiteurs ont tout loisir d'admirer sous le dôme ou dans la cour des chenils une présentation durant laquelle s'exécutent des airs de dressage. Les explications utiles sont données au fur et à mesures de l'exécution des figures et les écuyers et les écuyères expliquent chaque fois les étapes que franchit un jeune cheval pour servir l'homme dans ses différents emplois. L'écuyer expose en termes simples les moyens dont il dispose pour se faire comprendre et obéir. Prenant un exemple précis, révérence, pas espagnol, le cheval assis ou cabré, il démontre les différentes étapes du dressage permettant d'aboutir au résultat présenté.

Chaque année, 100000 jeunes en voyage scolaire visitent le Musée Vivant. Des écuyers et écuyères expliquent les gestes quotidiens pour maintenir les chevaux propres et en bonne santé. Mais toute pédagogie resterait morte si elle ne s'appuyait pas sur les séductions du rêve.

Imaginons d'abord la musique, sur des airs classiques adaptés à l'évocation que l'on souhaite, lors d'une présentation idéale au manège des Grandes Ecuries : un écuyer à cheval montre au public les aides élémentaires et les trois allures, puis salue. un e voix off suit la transition musicale : "Ce Musée est un temple dédié au seul moteur dont disposèrent les hommes pendant des millénaires avant la vapeur, le pétrole ou l'électricité. Quatre générations séparent le T.G.V. du petit train du Far-West, et nos grands-pères se souviennent de Blériot traversant la Manche sur un avion de toile et de bois. Nos grands-pères ont vu dans les rues "pour de vrai" les taxis de la Marne et autres vieux tacots, mais avant tout cela, avant l'indispensable automobile, et nos propres jambes mises à part, il n'y avait que le cheval partout, à la ville comme à la campagne et sous tous les climats. Cet animal éminemment domestique faisait encore bien plus partie de la maison que l'actuelle et irremplaçable voiture. Chevaux de trait, chevaux de selle, moteurs des lourds charrois, des diligences, quels transports, quels échanges commerciaux aurait-on pu concevoir sans vous . Mais hélas quelle guerre aussi ?

Chevaux de toute la terre, on vous disait la plus noble conquête de l'homme... mais qui est le maître de qui, là où l'amour-passion commande ?

Les anciens, Grecs et Romains, célébraient déjà cette communion mystérieuse du cheval et du cavalier formant un couple dont l'idéal est le centaure.

Au cours des siècles, l'animal s'est tellement humanisé, intégré à la civilisation qu'après l'Art équestre antique, dont on sait peu de choses, il sombre comme le reste dans le sommeil du Moyen-Age. Certes, on l'utilise encore pour le travail ou pour la guerre mais on ne le manie plus pour lui-même, pour la beauté de ses mouvements, pour le plaisir, pour rien. tout cela est oublié jusqu'à la Renaissance, jusqu'à l'Italien Pignatelli, Christophe Colomb de l'équitation et jusqu'à Antoine de Pluvinel son élève, qui est français. Ecuyer d'Henri IV puis de Louis XIII, Pluvinel fonde à Paris une Académie où on enseigne aussi la peinture, la musique, les mathématiques et les lettres, preuves que l'Art équestre est indissociable d'une culture.

Tel est l'homme tel sera le cheval.

Au XVI siècle finissant, peintures, gravures et dessins montrent un cheval plutôt petit et qu'un symbolisme de la soumission réduit encore, par contraste avec le maître qui le monte. Mais quel animal fier et fort !

Voyez sous sa masse rassemblée cette richesse de muscles frémissants, ces jarrets prêts à bondir ! Cette monture de Charles Quint se prépare à Louis XIV. L'époque est aux bâtisseurs d'empirer, au règne de la puissance et de la gloire. et Pluvinal, qui met au point le travail entre les piliers, est justement appelé pour jamais "le maître de l'impulsion" c'est à dire de l'énergie manifestée.

Les chevaux du Musée qui évoluent en ce moment devant vous ont été choisis parce qu'ils ressemblent aux chevaux de Pluvinel. Remarquez la taille ramassée, la beauté de la tête, la puissance de l'épaule et de l'arrière-main, la souplesse générale, et surtout, l'impulsion.

Au XVIè siècle sont codifiées les principales figures de manège : demi-volte, voltes, travail sur deux pistes ou appuyers ainsi que les airs bas, c'est-à-dire à ras de terre, comme le piaffer ou le passage, et les airs relevés, c'est à dire les sauts, comme la courbette, la croupade, la cabriole, que le cheval exécute sur demande et qui ne sont que la reproduction stylisée des mouvements d'attaque ou de défense au combat.

Au XVIIIè siècle l'intelligence et l'art de vivre atteignent des sommets. L'Europe entière, au siècle des Lumières, parle français et bien sûr monte à la française, car l'école de Versailles, suivant en cela les Arts plastiques et les Arts d'agrément, vient de porter l'équitation classique, académique à son apogée. François Robichon de la Guérinière est écuyer-professeur de Louis XV. Partout on considère son ouvrage, L'école de Cavalerie, comme la Bible de l'équitation, à ce point, qu'à Vienne aujourd'hui l'École Espagnole s'en tient scrupuleusement aux principes qu'il expose. voici le règne de la douceur : "Là tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe calme et volupté"

La Guérinière invente l'épaule en dedans, exercice d'assouplissement sur deux pistes par où commence toute équitation véritable.

Au XIX, c'est la naissance du sport, la fixation définitive de cette race nouvelle : le pur sang. Puis Saumur en France restaure la tradition, mais avec le sport, le spectacle ; et le spectacle par excellence, à cheval, c'est le cirque. Gloire au plus illustre, au premier écuyer du siècle : Franconi avec qui travailla Baucher.

François Baucher, ce saltimbanque qui, selon sa propre expression "se faisait voir pour 10 sous" professa chez les militaires et les bouleversa à ce point qu'à Saumur on en parle encore. Comme un génie. L'équitation lui doit 31 airs nouveaux de manège dont le galop sur 3 membres et le galop en arrière.

François Baucher est le maître de la légèreté comme Pluvinel l'était de l'impulsion, puisque l'équitation n'est ce pas, c'est une danse.

Aujourd'hui, en cette fin du XXème siècle, l'équitation académique, un peu partout, cède sa place au dressage.

VI- La visite continue

Dès l'entrée dans la grande nef, le visiteur est plongé dans l'ambiance. Les chevaux bougent dans leur box et de la paille monte une odeur familière, mais, levant les yeux, on est saisi par la splendeur qui se répand avec la lumière issue des fenêtres rondes au sommet du dôme.

L'usage voulait sous l'ancien régime et encore au XIXème siècle que les chevaux à l'écurie fussent attachés à des anneaux et chaque cheval isolé du voisin par un montant de bois. il y eu donc dans les nefs des stalles superbement décorées qui disparurent dans la tourmente révolutionnaire. Aujourd'hui, seule la galerie Est est meublée de boxes suivis de stalles construits au XIXème siècle par le duc d'Aumale. Les chevaux de courses vivaient librement dans les boxes alors que les chevaux de chasse étaient attachés dans les stalles.

Aujourd'hui plus de quarante chevaux représentent les principales races de trait françaises, sans oublier les ânes et le baudet du Poitou, représentant la race génétrice des mules. Le pur sang anglais et l'arabe évoquent les courses, alors que les chevaux ibériques, Andalous et Lusitaniens descendent tout droit de ceux que l'on utilisait au XVIIIè siècle pour le dressage. De même qu'ils sont à l'origine des Lippizans de l'école de Vienne, les chevaux ibériques dans leur ensemble représentent l'essence même du cheval et sa beauté. Exalter le cheval correspond à une tradition antique et fabuleuse. Que l'on songe au centaure, moitié homme et moitié cheval, à l'hippocampe, moitié cheval et moitié poisson, à l'hippogriffe, monstre ailé moitié cheval et moitié griffon, à la licorne au cors de cheval et à tête de cheval ou de cerf, porteuse d'une corne unique au milieu du front, à Pégase, cheval ailé qui faisait jaillir une fontaine où s puisait l'inspiration poétique. Quant à Bucéphale, qui avait peur de son ombre, Alexandre l'avait dompté en le faisant galoper vers le soleil.

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